Ristournes fiscales illégales : l’État favorise-t-il les plus gros fraudeurs ?

Face à la complexité du système fiscal, l’administration choisit bien souvent d’éviter l’affrontement juridique en consentant des réductions d’impôts aux grandes fortunes et aux entreprises, plutôt que de s’engager dans de longs contentieux.

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Chaque année, l’administration fiscale française accorde discrètement des remises massives à certains contribuables en situation de fraude, au travers de procédures appelées « règlements d’ensemble ». Ce mécanisme, dépourvu de cadre légal clair et largement méconnu du public, représenterait un manque à gagner de 1,2 milliard d’euros pour l’État. Une pratique qui semble bénéficier avant tout aux grandes entreprises et aux contribuables les plus fortunés.

Ristournes fiscales discrètes accordées aux gros fraudeurs : une pratique coûteuse pour l’État, mais sans base légale

Derrière le terme technocratique de « règlement d’ensemble » se cache un procédé peu connu de la grande majorité des citoyens  : un compromis à l’amiable entre le fisc et certains contribuables à l’issue d’un contrôle.

Cette entente, confidentielle, permet d’éviter un contentieux en échange de remises parfois très avantageuses. Entre 2019 et 2024, cette pratique a représenté un manque à gagner moyen de 1,26 milliard d’euros par an pour les finances publiques.

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Cette pratique a été mise en lumière par un rapport parlementaire présenté le 18 juin 2025 à l’Assemblée nationale, dans le cadre du « Printemps de l’évaluation ».

Coécrit par les députés Mathilde Feld (LFI) et Nicolas Sansu (PCF), ce document détaille un système opaque, encore dépourvu de fondement juridique solide. Une faille de taille qui va à l’encontre du principe directeur même du contrôle démocratique, dénoncent ses auteurs.

« Paie un peu, et on oublie le reste » : les dérives d’une fiscalité sur mesure pour les plus riches

Le règlement d’ensemble intervient lorsque l’administration fiscale et le contribuable ne parviennent pas à s’entendre sur l’assiette taxable — comme la valorisation d’un bien immobilier, d’une œuvre d’art, ou le prix de transfert dans un groupe international. Plutôt que de s’engager dans une procédure incertaine, le fisc propose une négociation : « paie un peu, et on oublie le reste ».

Contrairement aux remises gracieuses encadrées par la loi ou aux transactions prévues par l’article L. 247 du Livre des procédures fiscales, les règlements d’ensemble s’appuient simplement sur une note interne de la Direction générale des finances publiques. Autrement dit, une pratique sans véritable socle législatif, dénoncée dès 2018 par la Cour des comptes et toujours en vigueur en 2025.

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Sur la période 2019-2024, ces arrangements se sont traduits par des réductions moyennes de 60 % des redressements initiaux. En 2024, la décote atteignait même 71,5 %.

Le fisc explique cette situation par la complexité des dossiers et admet fixer des montants initiaux volontairement élevés, sachant que des concessions seront faites. Les parlementaires y voient, eux, les dérives d’une « fiscalité à la carte ».

Ristournes fiscales : une explosion du nombre d’accords depuis 2019

Le nombre de règlements d’ensemble a triplé en six ans, passant de 116 en 2019 à 315 en 2024. Cette envolée questionne : s’agit-il d’une hausse des dossiers complexes ou bien d’une appropriation croissante de ce mécanisme par des contribuables bien informés ? Pour les rapporteurs, le second scénario est plus crédible, d’autant que « ce sont souvent eux qui la sollicitent ». Et le fisc le reconnaît.

Le profil des bénéficiaires de ces ristournes fiscales est révélateur : le revenu médian des personnes physiques ayant conclu un accord de ce type dépasse 210 000 euros. Quant aux entreprises concernées, leur chiffre d’affaires médian atteint 8,7 millions d’euros.

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En 2024, les dix plus gros dossiers ont concentré 83 % du total des remises accordées, soit 1,5 milliard d’euros sur 1,86. Les entreprises représentent près de 70 % des cas. Le contribuable ordinaire, lui, n’a pas accès à ce levier.

Qui profite vraiment des règlements d’ensemble ?

Ces arrangements peuvent même s’ajouter à d’autres dispositifs comme les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), conclues avec des groupes tels que Google ou McDonald’s.

En versant une somme convenue et en acceptant quelques engagements, ces géants ont pu éviter à la fois des poursuites pénales… et une partie de leur dette fiscale. Une double récompense qui questionne l’équité du système.

La transparence reste quasi inexistante. Avant 2020, le mécanisme n’était même pas mentionné publiquement. Depuis, il figure timidement dans un rapport annuel au Parlement, étalé sur deux pages à peine — trois avec les annexes.

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Les données se limitent à quelques tableaux : nombre de dossiers, montants, typologie des contribuables. Aucune information sur les motivations, la fréquence des bénéficiaires, ni la répartition géographique. Rien n’est prévu pour vérifier si certains fraudeurs obtiennent ces avantages à répétition.

Vers un encadrement des ristournes fiscales : ce que proposent les députés pour plus de transparence

Les rapporteurs ne prônent pas l’abolition totale de ce mécanisme, reconnaissant qu’il peut se justifier dans des cas réellement complexes. Mais ils réclament un encadrement strict.

Parmi leurs propositions : inscrire le règlement d’ensemble dans la loi, fixer des critères d’éligibilité clairs, et conditionner l’accord à un comportement coopératif du contribuable.

Ils recommandent aussi la création d’un service central de suivi pour harmoniser les pratiques, publier davantage de données (montants, zones, profils), et renforcer les effectifs du fisc afin de ne plus laisser le manque de moyens dicter les négociations.

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Les députés pointent une logique de rentabilité à court terme, qui va à l’encontre du rôle dissuasif que devrait jouer le contrôle fiscal. Une tendance aggravée, selon eux, par l’esprit de la loi ESSOC de 2018, censée bâtir « un État au service d’une société de confiance », comme le rappellent nos confrères d’Alternatives Économiques. Si cette loi promeut le droit à l’erreur et le dialogue entre administration et contribuables, le mécanisme reste « réservé aux plus riches ».


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