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Il y a 80 ans, les femmes obtenaient le droit de vote

"On est devenue l’égale de l’homme. À partir de ce jour-là, on a aussi été capables d’avoir des opinions politiques". Marcelle Abadie, 104 ans, se souvient de cet "événement", il y a 80 ans : le droit de vote accordé aux Françaises.


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Rédigé par Clicanoo

C’était le 21 avril 1944. Grâce à une ordonnance du Gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger, les femmes devenaient électrices et éligibles. Un an plus tard, le 29 avril 1945, elles déposaient pour la première fois leur bulletin dans l’urne pour élire leur maire.

Bien droite dans son fauteuil, à Paris, Jacqueline Didier, 101 ans, se plonge dans ses souvenirs: "J’étais étudiante en histoire à Toulouse mais j’étais inscrite sur les listes électorales de Gourdon, chez moi dans le Lot". C’est accompagnée de son père que la jeune femme s’est rendue à la mairie. "Le jour du vote, il m’a expliqué comment ça fonctionnait: tu prends le papier-là et ensuite tu le mets là". Les chiffres de participation des femmes à ce premier scrutin, municipal, en 1945, ne sont pas disponibles. Un peu plus de 26 millions de Français étaient alors inscrits sur les listes électorales, mais au moment du vote, de nombreux hommes étaient encore prisonniers de guerre ou déportés. "On sait que les femmes sont allées voter, même si beaucoup d’entre elles ne s’intéressaient pas forcément à la politique", rappelle Anne-Sarah Bouglé-Moalic, docteure en histoire à l’Université de Caen-Normandie et spécialiste de la question du vote des femmes en France. "Il faut comprendre qu’elles avaient grandi en entendant que, de toute façon, la politique, ce n’était pas pour elles : c’était l’affaire du mari ou du père".

"IL FAUT ALLER VOTER !".

Autre critère important : le milieu social et culturel. Les voisines de Marcelle Abadie, à Pantin, banlieue nord-est de Paris, étaient femmes au foyer pour la plupart et ne sont pas toutes allées voter. "Je leur ai dit: vous avez tort ! On l’a demandé ce droit, maintenant qu’on l’a, il faut aller voter!". La France a attendu la moitié du XXe siècle pour garantir les mêmes droits politiques aux femmes qu’aux hommes, bien après d’autres pays : l’Australie en 1901, la Finlande en 1906, la Norvège en 1913, le Danemark en 1915, l’Allemagne en 1918, les États-Unis en 1920, le Royaume-Uni en 1928...

Chez Madeleine Charrière à Limoges, aujourd’hui décédée, la question d’aller ou non déposer son bulletin ne s’est pas posée. "Maman était très fière d’aller voter. Elle se sentait investie d’un pouvoir", raconte sa fille aînée, Brigitte, 10 ans en 1945, qui se souvient très bien des discussions politiques entre sa mère et son grand-père avocat, alors que son père était toujours prisonnier en Allemagne. Un sentiment de fierté, c’est aussi ce qu’a ressenti Marcelle Abadie.

Elle avait alors 25 ans, travaillait dans une compagnie d’assurance à Paris et n’entendait pas se faire dicter ses choix. "Je travaillais, je gagnais de l’argent et je faisais ce que je voulais", insiste-t-elle, précisant n’avoir jamais voté comme son mari, fonctionnaire de police. Quelques mois après les élections municipales, les femmes ont à nouveau exercé leur devoir civique. Le 21 octobre 1945 ont eu lieu les premières élections législatives de l’après-guerre. "Trente-trois femmes ont été élues à l’Assemblée, soit un peu plus de 5%", indique l’historienne Anne-Sarah Bouglé-Moalic, dont Madeleine Braun, ancienne résistante, devenue en 1946 la première femme vice-présidente de l’Assemblée nationale. Depuis ce premier vote, Jacqueline Didier et Marcelle Abadie n’ont jamais manqué une élection. Et Marcelle en est persuadée : "Un jour, il y aura une femme présidente en France".

> Michelle Perrot : "Un début d'émancipation"

Le 21 avril 1944, alors que la France est toujours en guerre, une ordonnance du gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger accorde le droit de vote aux femmes, une décision prise après plus d'un siècle de lutte. L'historienne Michelle Perrot, l'une des grandes spécialistes de l'histoire des femmes, revient sur ce long parcours.

Quand débutent les revendications pour le vote des femmes ?

Ça commence avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791 par Olympe de Gouges, qui réclame l'égalité des droits (les hommes ont obtenu le droit de vote à la Révolution, avant de le perdre quelques années plus tard : ndlr). En 1848, quand le suffrage universel est à nouveau accordé aux hommes, des femmes militent pour obtenir le même droit. Elles voulaient que l'écrivaine George Sand soit leur porte-parole mais cette dernière a refusé : elle réclamait d’abord une réforme du Code Napoléon, "l’infâme code civil", comme elle le qualifiait. Pour George Sand, tant que les femmes n'auraient pas de droits civils, elles dépendraient de leur mari ou de leur père. C’est plus tard, sous la Troisième république (1870-1940), que naît le mouvement des suffragistes avec Hubertine Auclert, qui fonde en 1881 le journal "La Citoyenne". Cette journaliste et militante ne cesse d’organiser des meetings et des manifestations pour réclamer le droit de voter pour les femmes, mais aussi d’être élues. Ces femmes se retrouvaient notamment devant le Sénat pour protester, alors qu’à l’époque elles n’avaient même pas le droit de manifester. Après la Première Guerre mondiale, les féministes reviennent à la charge, en insistant sur le rôle des femmes pendant la guerre en l’absence des hommes. Louise Weiss, journaliste et féministe, est l'une des grandes figures de cette époque. À six reprises, des propositions pour le droit de vote des femmes sont présentées à l’Assemblée, le Sénat bloque à chaque fois. Les sénateurs étaient pour beaucoup des notables de la campagne qui représentaient une France très patriarcale. Pour eux, les femmes n’étaient pas faites pour la politique, elles devaient avant tout s’occuper de leur foyer.

Comment la femme est-elle considérée en 1945 ?

Le régime de Vichy a eu un discours très culpabilisant envers les femmes : si la France a perdu la guerre, c'est parce qu'elles n'ont pas fait assez d'enfants. Et à la Libération, de nombreuses femmes avaient envie d'envoyer promener ce monde d'avant. Mais il y a encore des résistances, avec l'idée d'une forte division des sexes et que pour reconstruire le pays, il faut que chacun retrouve son rôle. Ce n'est donc pas un discours si libérateur que ça, c'est encore très conservateur. Pour une autre raison, le Parti radical aussi avait peur du vote des femmes. C'était un parti laïque qui pensait que les femmes étaient influencées par le clergé, qu'elles étaient le vivier de l'Église et qu'elles voteraient à droite. La condition des femmes à la Libération, ce n'est pas encore la liberté, il n'y a pas encore l'autonomie.

Le droit de voter va-t-il permettre aux femmes de s'émanciper ?

Pas vraiment. Il faut bien comprendre qu'à l'époque le Code civil de Napoléon est toujours en place, même s'il y a eu une amorce de révision en 1938.George Sand avait raison de se méfier du Code civil puisqu'il a survécu au droit de vote. C'est le mariage qui réduisait les femmes à leur position seconde. La plupart des unions se faisaient sur le régime de la communauté et les femmes ne pouvaient pas signer de papiers officiels. Après le père, la femme passait sous l'autorité du mari. Il faut attendre 1965 pour que la loi autorise les femmes à ouvrir un compte en banque à leur nom sans l'autorisation de leur mari. Une fois les droits politiques acquis, le féminisme s'est intéressé aux droits du corps avec les luttes pour la légalisation de la contraception (1967) et pour la dépénalisation de l'avortement (1975).


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