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En 2024, près d'un millier d'internes en médecine manqueront à l'appel

SANTÉ. Il manquera environ un millier d'internes en médecine dans la promotion 2024, un accident de parcours lié à la réforme en cours de leur formation, dont les conséquences devraient être limitées, dans l'Hexagone comme à La Réunion, malgré l'importance de leur rôle dans le système de santé.


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Rédigé par Clicanoo

"On va être aux alentours d'un millier d'internes en moins", par rapport aux quelque 9 500 internes de la promotion précédente, indique le Professeur Benoît Veber, président de la Conférence des doyens de facultés de médecine.

La raison de ce décrochage ? L'entrée en vigueur d'un nouveau concours de l'internat pour la promotion 2024. Concrètement, l'ancien examen "a été remplacé par un système de 'matching', avec plusieurs éléments", explique à son tour le Professeur Arnaud Winer, d'anesthésie et de réanimation à l'Université de La Réunion. Désormais, plus de concours écrit (ou EDN, ndlr) uniquement. Les étudiants seront évalués sur l'EDN, qui représente 60% de la note globale, mais également "sur des mises en situation pour évaluer leur capacité de performance dans ces situations, ce qu'on appelle les Ecos, qui valent pour 30% de la note, et enfin, sur ce qu'ils ont fait dans tout leur parcours professionnel, qui correspond à 10% de la note." Erasmus, maîtrises, unités d'enseignement supplémentaires...

Résultat : une petite partie de la promo 2024 a décidé de redoubler sa cinquième année de médecine, pour ne pas essuyer les plâtres d'un concours crucial pour les étudiants puisque c'est leur classement qui détermine la spécialité choisie. Un taux de redoublement en cinquième année élevé à 7%, contre 3% d'habitude, selon le doyen Veber. À ces quelque 660 étudiants qui ont préféré décaler d'un an le passage du concours, s'ajoutent environ 240 élèves éliminés dans la phase écrite de celui-ci, qui, pour la première fois, introduit un principe de note éliminatoire. Un trou d'air qui a inquiété certains élus, vu l'importance des internes dans le fonctionnement de l'hôpital et la pénurie de soignants actuels. Mais pour Benoît Veber, les conséquences pour les hôpitaux seront limitées, en attendant la "vague haute" l'an prochain.

Moins 10 % d'internes à La Réunion

La Réunion, elle, n'est pas directement concernée par ces redoublements puisque le second cycle de médecine, qui permet la réalisation de la quatrième, cinquième et sixième année d'étude, s'est ouvert l'an dernier sur le territoire, à Terre Sainte, avec une cinquantaine d'étudiants de quatrième année. "Nos étudiants passeront ce nouveau concours, s'il existe toujours, dans deux ans", prévient Arnaud Winer. Toutefois, comme pour toutes les subdivisions du national, l'île fait l'objet d'une demande de réduction de 10 % du nombre de ses internes pour le semestre prochain ; à la requête d'Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de médecine de Caen et président de l'Observatoire de la démographie des professions de santé (ONDPS). "Au prochain semestre, en novembre 2024, avec une vision micro dans certains services, il y aura effectivement un peu moins d'internes par rapport aux autres années", avance Arnaud Winer. Ce sera le cas des urgences, de l'anesthésie générale ou encore de l'anesthésie de réanimation par exemple. "Mais les conséquences seront inexistantes dans la majeure partie des spécialités où il y a peu d'internes en formation", prévient Arnaud Winer.

Toujours est-il que cette diminution d'internes, pour le professeur Peter Von Théobald, "reste embêtante pour un CHU qui grandit et qui a déjà beaucoup moins d'internes que les CHU métropolitains". Car selon lui, à court terme, "il y aura des spécialités qui vont avoir un interne de moins, ce qui fait que les autres, notamment pour les spécialités à garde, vont devoir prendre davantage de garde, argumente-t-il. Il y a déjà un certain épuisement du personnel, mais on risque d'avoir des gardes avec des trous ou qui ne seront pas prises." Une situation qui risque "d'aggraver la situation à l'hôpital actuellement".

"C'est désolant d'être traité de la même façon que n'importe quel CHU qui a déjà un nombre d'internes beaucoup plus important que nous"

D'autant que tous les universitaires du CHU "se sont opposés farouchement" à cette diminution de 10 % imposée, indique Peter Von Théobald. "On est un CHU naissant et on a des besoins croissants, on développe des tas de nouvelles technologies, poursuit le professeur Von Théobald. On est un bon terrain de stage, très attractif. C'est désolant d'être traité de la même façon que n'importe quel CHU qui a déjà un nombre d'internes beaucoup plus important que nous." Sur le plus long terme, Peter Von Théobald craint que les internes ne soient plus formés en nombre suffisant à La Réunion, ce qui impacterait l'attraction de l'île et les spécialités déjà en carence.

Et qu'en est-il des 10 % d'internes que La Réunion récupèrera dès l'an prochain ? Le problème n'en est pas un en soi, selon Arnaud Winer et Peter Von Théobald. "Comme nous avons créé notre subdivision récemment, le fait d'augmenter progressivement le nombre d'internes fait obligatoirement diminuer les internes dans les autres subdivisions au national, rappelle le premier nommé. Les capacités pédagogiques d'un bon nombre de nos spécialités sont beaucoup plus importantes que le nombre d'internes que l'on reçoit. On a largement les capacités pédagogiques pour absorber l'augmentation du nombre d'internes l'année prochaine."

Au-delà de cela, le nouveau concours n'a toutefois peut-être pas fini de faire parler de lui. La nouvelle épreuve, orale, en mai prochain, fait l'objet de nombreuses critiques, notamment sur le risque de fuite des sujets entre les plus de 8.000 étudiants qui passeront le concours dans toute la France.

P.B avec AFP

> Plus d'étudiants en médecine ? Les doutes de la communauté universitaire

Le nouveau coup d’accélérateur demandé par Gabriel Attal sur les effectifs d'étudiants en médecine suscite des doutes dans le monde universitaire, qui souligne l'ampleur des moyens à utiliser et le risque d'une sur-réaction face aux besoins actuels.

Aiguillonné par les difficultés d’accès aux soins des Français, le Premier ministre a annoncé il y a quelques jours qu’il voulait porter à 16.000 le nombre d’étudiants en deuxième année de médecine en 2027. Ce nombre a déjà progressé ces dernières années, avec presque 11.000 étudiants de 2ème année aujourd'hui (après le difficile concours en fin de première année), contre 8.000 en 2017, notamment grâce à la fin du numerus clausus - le système de plafonnement du nombre d'étudiants - voulu par Emmanuel Macron.

Mais plusieurs syndicats ou responsables universitaires font part de leurs doutes sur la capacité de l'Etat à mobiliser les moyens nécessaires pour franchir ce nouveau palier. "Nous sommes très méfiants car les capacités de formation sont aujourd'hui limitées", explique Jérémy Darenne, président de l’Association nationale des étudiants en médecine (Anemf). "Les universités peinent déjà à absorber les récentes augmentations, donc nous ne voyons pas" comment ces capacités peuvent augmenter aussi fortement "en préservant la qualité de la formation", dit-il.

Manque d'enseignants

De fait, la hausse continue du nombre d'étudiants en médecine ces dernières années a poussé les facs près de leurs limites, confirme le Professeur Benoît Veber, président de la Conférence des doyens de médecine.

"L'immense majorité des facs n'est pas loin de leur plafond", de capacités de formation, a-t-il relevé mercredi lors d'une table ronde organisée par l'Ordre des médecins. Pour aller plus loin que les quelque 12.000 étudiants déjà prévus pour 2025, il va falloir notamment "des créations de postes de professeurs de médecine, maîtres de conférence, chefs de clinique", souligne-t-il.

Or les facultés ont déjà du mal à trouver les enseignants nécessaires dans certaines spécialités, comme la dermatologie, la chirurgie pédiatrique ou l'anatomopathologie, selon lui. "Il va falloir aussi du personnel administratif, des bibliothèques universitaires et des amphis de taille suffisante", relève-t-il.

"On a déjà un problème aujourd'hui pour trouver des maîtres de stage" pour les futurs généralistes, rappelle Guillaume Bailly, président de l'intersyndicale nationale des internes (Isni). "Vous avez beau ouvrir les vannes sur les étudiants en médecine, si vous n'avez pas les moyens de les former, c'est plutôt délétère".

Départs en retraite

S'ajoute une question : en continuant d'augmenter fortement le nombre de carabins dans les années à venir, ne risque-t-on pas d'aller trop loin face aux futurs besoins du pays ? En 2037, au moment ou les 16.000 étudiants en médecine prévus par Gabriel Attal commenceront à être opérationnels, la situation aura déjà commencé à s'améliorer sur le front de la densité médicale, selon les prévisions de la Drees, la direction statistique du ministère de la Santé.

Ce sera la période lors de laquelle "le nombre de départs en retraite de médecins sera au plus bas", rappelle également Benoît Veber. Car elle correspondra aux départs des médecins formés pendant les années les plus strictes du numerus clausus -quand 3.000 à 3.500 praticiens étaient formés chaque année.

Par ailleurs, certains facteurs peuvent venir peser à la baisse sur la demande médicale, ou du moins la transformer profondément, ajoute Guillaume Bailly, de l'Isni.

"L'intelligence artificielle va se développer, assister les médecins" et "un essor des autres professionnels de santé" est en train de se produire, comme le montre le développement actuel de l'accès direct aux kinés, sage-femmes, infirmières de pratique avancée et autres para-médicaux, souligne-t-il. "On manque de travaux prospectifs sur l'évolution des besoins" futurs concernant les médecins, reconnaît Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de médecine de Caen et président de l'Observatoire de la démographie des professions de santé (ONDPS). "On aura sûrement besoin d'une densité médicale plus forte que celle qu'on avait dans le passé, mais il est difficile de savoir à quel niveau", dit-il. "C'est l'objectif de travaux que nous allons mener dans les prochains mois".


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